
Paul Lefèvre, le conteur d'histoires

Paul Lefèvre, journaliste sur W9, Photo : CM
Une voix qui donne envie d'écouter l'histoire jusqu'à la fin. Une plume perfectionniste. Paul Lefèvre est un chroniqueur judiciaire qui est passé par tous les médias, a été formé par les plus grands et a vécu les mutations de son métier, avec parfois l'impression d'en perdre l'essence même.
« 'Paul, au bout d'une minute, j'en ai marre de ta gueule' ». Installé sur le canapé bleu de son appartement baigné de soleil en cette fin de journée de juillet, Paul Lefèvre se rappelle les mots de Pierre Desgraupes, son mentor, à ses débuts télévisés. « Je travaillais comme une bête pour avoir une écriture pointue et vraie. La difficulté c'est que le papier doit être tellement bon qu'il crée des images », raconte le journaliste d'un air décontracté, les bras croisés au dessus de sa tête.
Paul Lefèvre a reçu une éducation rigoureuse chez les jésuites. Puis il entreprend dans le domaine bancaire. A priori, il est loin de devenir journaliste. En 1955, il est mobilisé en Algérie. « Une expérience humaine très intéressante, cette partie violente de ma vie m'a construit », explique-t-il. Mais quand il rentre en 58, il ne reprend pas ses études. Son père achète d'abord une entreprise de papier en gros à Trouville puis prend des parts dans le journal Pays d'Auge Tribune, pour utiliser leur imprimerie. « Je me suis mis au journalisme par ce biais là. J'étais rédacteur en chef, reporter, balayeur », sourit-il.
Déjà à cette époque, il sait parler aux gens. Il se fait des contacts, obtient des informations exclusives. Le journal Paris-Normandie le démarche pour collaborer avec eux. Il dit oui. Mais il faut vite faire un choix entre l'entreprise familiale et le journalisme. Et c'est à cette époque que l'aventure commence pour Paul Lefèvre. Il part à Paris, travaille au journal Paris Presse, au service des sports. Un jour il croise Pierre Lazareff et lui dit qu'il aimerait entrer à France soir. « Pourquoi ? », lui demande alors le patron de presse et homme de télévision. « Parce que je suis bon », répond le jeune Paul Lefèvre, loin de se laisser démonter.
Une signature et une voix
Dans les années 60, il finit par entrer à Europe numéro 1. « J'ai été formé à coups de pieds », se souvient-il amusé. Après un an au journal de 6h, Claude Terrien lui confie la chronique judiciaire en 64. « J'étais le seul qui avait une culture juridique grâce à mes études de banque. Mais surtout j'étais celui qui avait le plus de sens de l'observation des gens et des choses », analyse Paul Lefèvre. « Je me suis retrouvé dans une des fonctions les plus humaines du métier », raconte-t-il.
Au début, il en prend pour son grade. Mais rapidement, il prend le pli, commence à avoir une signature, une voix que les gens reconnaissent, qu'ils écoutent. Pierre Desgraupes le remarque et le fait venir dans son équipe d'information. « Je n'étais pas là pour rigoler, j'ai été formé par deux brutes envers qui je serai éternellement reconnaissant », raconte le journaliste.
A l'époque, personne ne fait d'école de journalisme. Et Paul Lefèvre est formé sur le terrain, par les grands professionnels qu'il admire. « Pour la chronique judiciaire, Jean Laborde, de l'Aurore, m'a appris le doute et Jean-Marc Théolleyre, du Monde, la retenue des sentiments. Deux éléments essentiels dans ce métier », souligne-t-il.
Paul Lefèvre apprend vite, travaille dur. Quand il arrive à un procès, il connaît le dossier sur le bout des doigts. Même mieux que certains avocats. Il excelle au jeu de pistes de la recherche d'informations. « Le journaliste trouve toujours la porte close. Le bon journaliste ouvre la fenêtre », image-t-il. Il joue de la rivalité entre police et gendarmerie, du besoin de reconnaissance de certaines personnes. « C'est venu avec l'expérience, il a fallu que j'apprenne à devenir un peu voyou », s'amuse-t-il en levant un sourcil d'un air malicieux.
« L'image a tué la chronique »
Au fil des années il se fait un carnet d'adresses impressionnant. Avec une règle d'or, ne jamais quitter un rendez-vous sans avoir récupérer un numéro de téléphone. « Dans l'association de la presse judiciaire dont je suis membre, souvent c'est moi, le vieux, qui leur donne des contacts », dit-il en riant.
La chronique intéresse tout le monde. Une chose que le journaliste ressent quand il couvre une grande affaire. « Ma femme et moi n'avons jamais été autant invités à des diners que pendant l'affaire Grégory. C'était toujours la même chose, à partir de la viande, quelqu'un me demandait de raconter l'affaire. Je regardais Anne et je savais que j'allais manger froid », rit-il. Sa femme est aussi journaliste, spécialisée dans les sujets de société, les droits des femmes, l'environnement, elle a notamment été rédactrice en chef de Biba. Il parle d'elle avec fierté, avec douceur. Ensemble ils ont deux fils, un chirurgien et un journaliste politique sur TF1. « Nous ne l'avons pas influencé, il a décidé tout seul. Je l'ai aidé à trouver un stage bien sûr mais après c'était à lui de faire ses preuves », précise-t-il.
Avec une carrière aussi riche, Paul Lefèvre a pu voir la chronique judiciaire évoluer. « L'image l'a tuée. C'est devenu un reportage judiciaire à la place. Les gens se concentrent sur l'image et n'écoutent plus le texte. Je suis un des rares à encore fermer les yeux pour écouter », explique-t-il. Et jusqu'en 99, année où il arrête le quotidien pour la production, il aura gain de cause : jamais d'image sur sa chronique. « Je me suis battu, j'ai dit que je préférais avoir 20 secondes de parole plutôt qu'une minute avec des images », insiste-t-il.
Paul Lefèvre travaille aujourd'hui sur W9 où il présente Enquête criminelle et sur Arte pour Les cicatrices de la justice. Il passe des heures au téléphone avec des acteurs des procès, un témoin oublié, un magistrat... « C'est de la gourmandise personnelle, après je passe le relai à mes rédactrices », sourie-t-il. « On reconnaît le chroniqueur judiciaire parmi les journalistes car c'est celui qui raconte le mieux une histoire et qui aime en entendre», explique-t-il. « Formé par la presse écrite, peaufiné par la radio et terminé par la télé, chaque forme correspond à une partie de ma vie, mon évolution, ma maturité. » Paul Lefèvre est comme il le dit « un mec qui raconte des histoires », mais c'est surtout un grand journaliste.
Chronique de Paul Lefèvre sur la condamnation à mort de Christian Ranucci en 1976. Il a été reconnu coupable de l'enlèvement et la mort d'une fillette. © INA via Youtube