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Pascale Robert-Diard, la passion des émotions 

Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, Photo DR 

Des conteurs d'histoire et des vigies de la justice. Voilà comment Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde depuis 30 ans, définit le chroniqueur judiciaire. Dans ses articles, elle fait des compte-rendus d'audience, toujours avec justesse, des images fortes et une liberté de style qui fait évoluer la chronique judiciaire.

« La chronique judiciaire, c'est un exercice littéraire. On voit toutes les passions humaines, les tragédies. La laideur des sentiments. La beauté des sentiments. La violence des sentiments », explique Pascale Robert-Diard, à la terrasse d'un café de la rue Mouffetard, dans la grisaille parisienne.

 

Journaliste depuis 30 ans, elle se décrit comme « un bébé Le Monde ». Pascale Robert-Diard a fait Sciences-po avant d'intégrer le CFJ. Elle fait son stage de fin d'étude au Journal le Monde où elle est embauchée directement à sa sortie de l'école, à Lyon, à l'époque où le journal voulait développer des éditions régionales, puis à Paris.

Elle travaille d'abord au service politique. Cinq ans à l'assemblée nationale, puis l'Elysée, puis Matignon. «J'ai beaucoup aimé décrire la violence politique », raconte-t-elle. Mais une idée persiste : s'occuper de la chronique judiciaire. Elle y accède en 2004.

Ce goût pour les Assises, elle l'a depuis sa première année au quotidien, où elle accompagne un collègue au procès Barbie. Mais c'est un autre petit procès qui fait réellement naître cette vocation.

« Le procès Barbie était un modèle mais je savais que ce n'était pas ce que je ferais. Un jour, j'ai assisté à une affaire bouleversante d'une femme née en Algérie, venue en France à l'adolescence rejoindre son père, éboueur à Lyon. Elle rencontre un marocain qui lui promet le mariage pour coucher avec elle. Elle tombe enceinte, cache sa grossesse, accouche en cachette et abandonne l'enfant. Au procès, son père vient à la barre. C'était un petit monsieur qui roulait son bonnet, parlait très mal le français. La présidente énonce son nom, son prénom, lui demande s'il est bien le père de la jeune femme. Il dit non, elle répète, plus distinctement, il dit encore non. Et là, tout le monde réalise. Il a très bien compris et précise : « avant j'étais son père, maintenant je ne le suis plus ». En plus du drame qu'a vécu cette jeune femme, son père la répudie publiquement. Je me suis dit wow c'est ça qu'on voit aux assises».

La chronique judiciaire est une tradition journalistique importante au Monde. Il est un des derniers quotidiens avec le Figaro où le chroniqueur qui assiste au procès n'est pas celui qui a couvert l'enquête. « On estime qu'il faut avoir un œil neuf. La justice est rendue au nom de tout le monde et nous sommes là pour dire de quelle manière elle est rendue, nous sommes des vigies de la justice », précise-t-elle.

Sauver la chronique judiciaire

Cette tradition, Pascale Robert-Diard n'hésite pas à la secouer de temps en temps en renouvelant les formats. Sa marque de fabrique ? Reproduire des blocs entiers au discours direct. C'est le cas du réquisitoire de l'Avocat Général qu'elle reproduit en entier dans l'affaire Alexandra Lange, une femme accusée d'avoir tué son mari violent. Elle multiplie également les points de vue. Comme dans son article « A vous monsieur le témoin venu déposer devant la Cour d'assises », publié sur son blog, véritable coup de gueule contre l'attitude du Président et de l'Avocate Générale qui exposent la vie intime d'un homme sans nécessité pour l'affaire. « J'ai beaucoup hésité à publier cet article, je l'ai fait relire par deux collègues et ils m'ont encouragé à le faire », se souvient la journaliste.

En 2006, Maurice Agnelet, avocat accusé d'avoir tué sa maitresse, est jugé aux Assises à Nice. Et en 2006, pour la première fois, Pascale Robert-Diard a peur pour la chronique judiciaire. « Je l'ai vue disparaître. C'était en pleine campagne pour la présidentielle, une grande partie du journal était dédiée à la politique. Je voulais absolument suivre l'affaire, du début à la fin, pas seulement venir le premier et le dernier jours comme les télés », explique la journaliste. Elle propose alors la création de son blog, pour pouvoir écrire tous les jours sur le web, et seulement les temps forts dans l'édition papier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prendre du recul pour écrire

Cette affaire est très importante pour Pascale Robert-Diard. Elle la couvre depuis le début. C'est également un des moments les plus forts de sa carrière, quand Guillaume Agnelet, en 2014, vient témoigner contre son père. « La violence de ce moment où un fils vient accuser son père de meurtre, dévoiler un secret qui va faire exploser sa famille, ça m'a bouleversée, j'ai eu beaucoup de mal à m'en remettre », raconte-t-elle. Après le procès, elle rencontre Guillaume Agnelet lors d'un entretien qui dure plus de trois heures. Dans le train du retour, elle décide d'écrire son livre, La déposition, publié aux Editions l'Iconoclaste.

 

Pour la journaliste, détachée à 100% à la chronique judiciaire pour le Monde, le métier est entrecoupé de moments de calme, sans procès. Elle fait alors des portraits, des enquêtes. Dans ces moments, il lui arrive de douter. Et puis elle assiste à un grand moment de justice et là, « c'est le meilleur métier du monde ». La plus grande difficulté dans son travail : « Etre juste. Trouver la scène qui va cristalliser l'intime conviction. C'est magnifique à voir. Et il faut raconter cette émotion, je veux que le lecteur ait l'impression d'être assis à côté de moi, d'avoir vécu ce moment », précise-t-elle.

 

Pour parvenir à retranscrire cette émotion, Pascale Robert-Diard note tout, « surtout les silences ». Le bouclage du Monde à 10h30 le matin lui laisse du temps. « Je suis très lente, j'écris la nuit. J'aime prendre le temps de faire retomber l'émotion. C'est comme si je passais au tamis et ne gardais que les quelques perles qui remontent », image-t-elle. « Quand je live tweet pendant un procès, c'est épuisant, en sortant, je me sens comme un citron pressé, je ne peux rien sortir le soir », explique la chroniqueuse. Même si c'est un exercice périlleux, elle acclame l'arrivée des réseaux sociaux : « C'est une toute nouvelle manière d'écrire qui a fait bouger les autres », résume la journaliste. Avant de conclure : « Twitter a ramené les journalistes au tribunal, et ça, c'est forcément une bonne chose. »

Pascale Robert-Diard raconte la création de son blog © Le Monde 

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